La lumière contre l’obscurantisme
Discours prononcé à l’occasion du lancement des Correspondances de Manosque 2025, le mercredi 24 septembre.
Dans quelques heures, quand le soleil disparaîtra, vous verrez apparaître ici et là, sur la place de l’Hôtel de Ville, ces quelques mots projetés au sol : « Manosque, Ville du Livre ».
Si nous tenions à ce que ces projecteurs soient opérationnels pour Les Correspondances, ce n’est pas uniquement pour parfaire cette inauguration, ni par simple goût de l’innovation.
Non, si nous y tenions autant, c’est pour le symbole. Car au-delà d’un label « Ville du Livre », auquel nous pouvons légitimement aspirer, on parle avant tout de « lumière ».
La lumière, ou plutôt « les » lumières. Celles qui effacent aussi bien l’obscurité que l’obscurantisme. Car oui, une fois n’est pas coutume, je tiens à ce que ce discours soit résolument engagé pour l’avenir.
Je pourrais vous parler du fait qu’à Manosque, plus que n’importe où, la culture ne sert pas de variable d’ajustement budgétaire. À Manosque, la culture est sanctuarisée.
Car protéger la culture, c’est, au final, nous protéger nous-mêmes. Car c’est ce qui nous lie. Dans le présent, dans le passé, dans notre avenir.
Aujourd’hui, je souhaite donc vous parler de campagne. Non pas la campagne des municipales, déjà engagée pour certains. Mais d’une campagne bien plus noble, bien plus importante. Une campagne algéroise qui, apparemment, alternerait entre beauté fulgurante et décrépitude…
« Quand Alger est belle, elle l’est soudainement. Elle prend son monde à contre-pied. On la croit à l’agonie ou morte dans la saleté, enterrée dans la poussière, et hop, elle jaillit dans la lumière. »
Ces mots, ce sont ceux d’un homme de 75 ans, emprisonné depuis un an dans le cadre d’un conflit diplomatique entre deux pays.
Deux pays qui devraient être amis, comme le sont l’Allemagne et la France, malgré leur passé, malgré leur guerre, malgré leurs différences. Mais depuis maintenant plus d’un demi-siècle, la paix n’est pas là ; absente, parfois fuyante, entre la France et l’Algérie, et faisant des dommages collatéraux.
Non, assurément, un écrivain ne devrait pas être enfermé pour ce qu’il est et ce qui le définit, chaque jour de son existence.
Alors, pour ne pas oublier, le visage de Boualem Sansal sera là, à nos côtés durant ces cinq jours, afin que la lecture ait un sens.
Une image pour que Boualem Sansal ne soit pas « enterré dans la poussière ».
Une image pour que Boualem Sansal « jaillisse dans la lumière ».
Ne pas s’enfermer dans un monde sans lumière, déshumanisé et dénué de sens. C’est assurément le pourquoi des Correspondances : aimer la littérature, les romans, la poésie et l’imaginaire que les artistes de l’écriture façonnent au gré des saisons et des années.
Un discours doit être engagé. Je le crois, je le vis, je l’assume. Il me semble important de rappeler qu’une vie vaut une vie, et que le destin de Boualem Sansal ne peut pas nous faire oublier les vies perdues d’enfants palestiniens à Gaza, ou de civils ukrainiens ; ne peut pas effacer le sort d’otages israéliens, de civils africains martyrisés au Soudan, au Congo ou en Éthiopie. Cela ne peut pas effacer non plus la persécution des chrétiens d’Orient au seul prétexte de leur religion.
Je crois depuis mon enfance que la France, c’est autre chose : celle d’un pays où nous vivons côte à côte au-delà de notre couleur de peau, de notre religion, de notre orientation sexuelle ou politique. Je reste persuadé que c’est la terre la plus merveilleuse au monde.
Que la France ne peut être la France sans grandeur.
Que la France est forte quand son peuple est fier.
Que la France est belle quand son peuple est uni.
Et que la France a un avenir radieux devant elle, à la condition qu’elle reste cette République, une et indivisible, promouvant la liberté, l’égalité et la fraternité.
Mesdames et messieurs les auteurs, vous qui nous faites l’honneur de votre présence, mesdames et messieurs les organisateurs, chers festivaliers, chers Manosquins, veuillez me pardonner si ce soir j’ai plus parlé des absents que des présents. Mais il me semblait indispensable de rappeler ici, dans ce festival 2025 qui pourrait être mon dernier, que les absents n’ont pas toujours tort.